Le Blog de Sacrebopol

LE PEUPLE MONGO

Les Mongo sont un peuple d’Afrique centrale, plus précisément du Sud de la province de l’Équateur (province) et du Nord de la province du Bandundu (province) en République démocratique du Congo (RDC).

Ils parlent le lomongo ou ses dialectes, mais le lingala est couramment utilisé et remplace parfois le lomongo comme langue maternelle dans les centres urbains. Avec les Luba et les Kongo, ils composent l'un des plus grands groupes de langue bantoue de la RDC.

L'ethnie se divise en plusieurs clans : Bolia, Bokote, Bongandu, Ekonda, Mbole, Dengese, Nkutu, Ntomba, Kole, Sengele, Songomeno, Iyasa, Bakutu, Bakusu, Iyadjima (Iyaelima), Boyela et les Batetela. Tous se disent d'un ancêtre commun Mongo, ils se nomment Anamongo.

 

 

Selon Georges van der Kerken, l'ethnie Mongo serait originaire d'un pays du nord-est du Haut-Nil, dans les régions du Lac Albert, Lac Edouard et du Lac Victoria, en Afrique de l'est. D'autres seraient venus des régions plus au nord entre 1300 et 1500 de l'ère chrétienne. Par la suite ils atteignent la région du Haut-Uélé, puis l'Équateur.

 

 

 

L'INFLUENCE DES MISSIONNAIRES SUR LA PRISE DE CONSCIENCE ETHNIQUE ET POLITIQUE DES MONGO (R.D.C.)*
1925-1965

 

 

Par Honoré Vinck
Texte repris de: Revue Africaine des Sciences de la Mission (Kinshasa), n. 4, juin 1996, p.131-147
19-11-01

 

 


"Kilolo is capable of expressing the nicest shades of meaning and is amply adequate, we feel sure, of conveying to the native mind a knowledge of the Great Father's love and of the blessing he has store for them" (J.B. Eddie, An English Kilolo Vocabulary, 1887, p.v.)

1. Les Mongo et les circonscriptions ecclésiastiques

"Les Mongo sont un conglomérat de groupes humains occupant ce qu'on appelle la Cuvette Centrale Congolaise. Ils ont des structures patrilinéaires et segmentaires. Les ethnologues l'ont appelée "ethnie". Certains groupes vivent en symbiose avec des pygmoïdes d'origines variées. Tous parlent des dialectes qui peuvent se référer à une seule langue" .
La région a été partiellement touchée par les incursions arabes et un système de traite d'esclaves orienté vers le Bas-fleuve fonctionnait avant la colonisation. L'occupation coloniale s'est faite à partir de 1883, mais la pénétration vers l'intérieur a été lente. On peut la considérer comme accomplie vers 1910. Le peuple Mongo a été gravement atteint dans sa force vitale par le système léopoldien et décimé en plusieurs endroits à cause de maladies d'importation (maladie du sommeil, syphilis) . Comme la région se prêtait à la culture de l'hévéa, du café, du cacao, des palmiers, elle fut livrée à l'exploitation des sociétés : la Société Anonyme Belge (SAB) s'y installa dès 1888 et la Hume Lever Compagnie à partir de 1920.
L'évangélisation y a débuté en 1883 par les protestants baptistes anglais, vite remplacés par des baptistes américains (Disciples of Christ) pour la partie sud et par la Congo Balolo Mission (anglaise) pour la partie nord. Les catholiques ont fait leur entrée avec les Trappistes de l'Abbaye de Westmalle (Belgique) en 1895, suivis par les pères de Mill Hill en 1905 pour le nord, les Lazaristes pour les Ekonda et les Ntomba (1928), les Scheutistes pour le reste de la région, les Passionistes pour les Atetela, les Picpus pour les Ndegese, à des dates variées.
Les Trappistes s'étaient implantés jusqu'à Wafanya, à 700 Km de Bamanya, leur poste d'origine, et avaient fondé cinq stations, quand, en 1925, leurs Supérieurs en Europe jugèrent la vie missionnaire incompatible avec leur vocation monastique et mirent fin à leur mission. L'évêque du lieu, Mgr E. De Boeck fit alors appel aux Missionnaires du Sacré-Cœur. Une dizaine de Trappistes, transférés canoniquement dans cette Congrégation, reprirent la région érigée en Préfecture Apostolique. Ils furent rejoints par quelques Missionnaires du Sacré-Cœur rappelés de leur mission d'Océanie .

2. La prise de conscience de l'ethnicité Mongo et les missionnaires

A l'époque des Trappistes, on ne peut rien noter qui puisse être interprété comme un signe de nationalisme mongo. Ces Moines savaient qu'ils avaient à faire à un seul peuple ou des groupes apparentés. Et après avoir, les premières années, utilisé la langue de traite, le bobangi, ils introduisirent partout le lomongo vers 1903. Ils ont commencé timidement l'étude des us et coutumes de cette contrée. Quelques publications en témoignent.
Les choses vont s'accentuer avec les Missionnaires du Sacré-Coeur. Leur Supérieur ecclésiastique, le Préfet Apostolique, Mgr E. Van Goethem , averti par 20 ans d'expérience en Nouvelle-Guinée, s'appliqua spécialement à la connaissance de la langue et des coutumes du peuple et adopta en une attitude toute positive envers la culture mongo. Ses prises de position n'étaient pas toujours dans la ligne générale de cette époque où la culture locale était généralement condamnée comme incompatible avec le christianisme. Il publia lui-même plusieurs études ethnologiques. Dans les "conférences sacerdotales", il incitait les missionnaires à connaître la langue, à comprendre et à pénétrer la culture . Mais le grand déploiement de ces études commence avec le Père Gustaaf Hulstaert arrivé en 1925 . Poussé d'abord par l'idée que, pour bien évangéliser, il faut bien comprendre le peuple, il commence par acquérir une bonne connaissance de la langue, clé de toute relation humaine. Son tempérament aussi le pousse à connaître et à étudier tout ce qui bouge autour de lui, la nature et les hommes.
En 1930 arrive le Père Edmond Boelaert . Prêtre depuis 6 ans, il avait déjà déployé une activité littéraire en Belgique. Il devient professeur au Petit Séminaire de Bokuma .
Hulstaert et Boelaert s'y retrouvent en 1934-1935 et commencent à élaborer un programme pour l'enseignement en lomongo. Ils forgent une terminologie complète et composent des cours en cette langue . En 1934, ils rédigent un nouveau catéchisme adapté. L'évêque les encourage. A partir de 1933, Hulstaert se met à éditer des livrets pour les écoles primaires du Vicariat. Dans le Buku ea Mbaanda (Livre de lecture de 1935), il y aura une leçon de lecture sur "Notre langue". Il s'en prend ouvertement à la manie de vouloir parler le français ou le lingala. Les enfants y apprennent que leur langue est une des plus belles du monde et qu'on sait absolument tout exprimer à travers d'elle. L'histoire des groupes qui composent le peuple mongo y est enseignée selon les connaissances les plus avancées de l'époque. L'unité des Mongo y est prônée et les différences avec les groupes environnants nettement affirmées: "Ils ont leurs propres manières. Ils ne sont pas comme nous". Un peuple voisin est qualifié de "méchant et guerrier" . En 1938, au Petit Séminaire de Bokuma, les séminaristes de Bikoro refusent d'apprendre le lomongo, langue sœur de la leur, et rentrent chez eux . Les Pères ne s'en font pas : "Ce genre de séminaristes quand même serait devenu de mauvais prêtres, car sans respect pour le peuple". Et ils maintiennent le cap choisi.
L'administration coloniale ne témoigne pas de respect pour la culture du peuple. Elle impose ses corvées et ses langues. Les Pères Boelaert et Hulstaert sont traumatisés par les abus du système colonial qu'ils voient autour d'eux. Ils voient que le peuple se meurt, les Mongo n'ont plus d'enfants. C'est la dénatalité. Des entreprises coloniales rapaces dépossèdent le peuple de ses terres ancestrales et recrutent leur main-d'œuvre de force, en invoquant des règlements jamais appliqués. Elles en arrivent même à déporter des populations entières pour participer à l'effort de guerre, " une guerre inventée par les Blancs". Boelaert parle de la colonisation comme de la "Peste blanche" . Les Noirs deviennent des déracinés dans leur propre pays. Ils se ridiculisent en imitant les Blancs et en arrivent même à déprécier leur langue, leurs origines.
Comment contrecarrer cette puissante offensive destructrice? Il faut une puissante contre-offensive constructive. Où avait-on déja vu cela? "Chez nous en Flandre", disent-ils. Les structures de domination mises en place par une culture étrangère, dominante (aussi financièrement), y avaient désintégré la conscience populaire. Ce qui a redressé le peuple flamand, c'est la prise de conscience de son passé glorieux (mythique et romantique), de sa culture et de sa langue. Ce qui l'a rendu fort, c'est son unité autour d'un idéal : reconstruire la culture ancestrale. Voilà la solution. "Soyez Flamand (celui) que Dieu a créé Flamand" se traduit maintenant par : "Soyez Mongo (celui) que Dieu a créé Mongo". Les missionnaires proclament que l'idéal chrétien et le combat culturel font un tout. En 1941, Hulstaert avait écrit à Mgr Égide De Boeck:

"Pour moi, tout est un: question linguistique, mission, enseignement, ministère paroissial, politique, etc., tout tourne autour d'un même point et en dépend. C'est le radicalisme du nouveau mouvement que Pie X prévoyait déjà avec son 'Omnia instaurare in Christo'. Vous voyez comment la question linguistique est d'importance et comment elle fait partie de toute une vision du monde; pour moi et pour ceux qui sont de notre tendance, la langue est un élément qui mérite le respect, aussi de la part de l'Église; c'est une valeur, un être entrant dans le dessein de Dieu; quelque chose avec laquelle le peuple même ne peut pas jouer, que les gens aussi doivent conserver, respecter, aimer tout ce qui existe en et pour Dieu; c'est donc un objet de l'amour de Dieu selon le premier commandement; par conséquent un individu ou un groupe n'a pas le droit de changer une langue, comme on n'a pas le droit de faire avec son corps ce qu'on veut" .

3. La prédication du réveil mongo

Le peuple est un, la langue est une. On le prouvera par des enquêtes linguistiques et dialectologiques (à partir de 1937); on dessine des cartes où le territoire mongo s'élargit à chaque nouvelle parution . Les missionnaires sont secondés par un administrateur qui avait obtenu des changements des limites administratives pour appuyer leurs thèses: Van der Kerken, l'auteur de la "bible mongo": L'ethnie mongo (édité en 1946, mais déjà rédigé fin des années 30) .
Pour la langue, c'est clair, mais pour d'autres composantes de la culture autochtone , comme la musique et d'autres expressions artistiques, les missionnaires s'emploieront à le montrer. A. Walschap assimile admirablement le rythme mongo et recrée, même pour l'église, les airs ancestraux avec les instruments d'accompagnement appropriés. On essaie de relancer la vannerie traditionnelle dans les écoles . Elle produit de petites merveilles qui procurent même quelques recettes (autofinancement avant la lettre). Cela paraît évident aujourd'hui, mais ce ne l'était pas du tout à l'époque.
Le périodique Aequatoria deviendra un puissant instrument pour propager leurs idées. Lancé en 1937, il est très vite contesté (1941-42) à cause de ses prises de position contre le lingala de Mgr. E. De Boeck. En 1945, la revue est menacée de suspension, pour avoir reproduit, sans la permission de son auteur, une phrase de Monseigneur Dellepiane, le Délégué Apostolique "qui aimait tant le tralala" .
Les Pères y plaident la nécessité de respecter les institutions traditionnelles, même, provisoirement, celles qui vont à l'encontre des principes chrétiens, car déséquilibrer une société, c'est ouvrir la porte à la destruction radicale d'un peuple, la dénatalité mongo en était la preuve.
On en est là quand débute la dernière période de la colonisation belge au Congo. Les premiers fruits commencent à apparaître : à part les réfractaires "françisants", les Frères des Écoles Chrétiennes, les écoles sont équipées d'une panoplie complète de livrets scolaires en lomongo d'une grande qualité. La langue est unifiée, sauf celle utilisée par les protestants qui, eux, s'imaginent mal une culture autre qu'anglo-saxonne . Le diocèse de Basankusu épouse les thèses de Hulstaert. Aux Ndengese, Mgr Six impose le lingala, et les Atetela ne s'adaptent pas au lomongo de Hulstaert. Les Lazaristes n'ont jamais utilisé la langue du peuple dans leurs méthodes d'évangélisation. Les Scheutistes d'Inongo, après quelques tentatives d'utilisation du lokonda/lomongo, se rangent à l'avis de leur évêque de Léopoldville qui impose la langue de la capitale (+1940) . Combattus et confinés géographiquement, Hulstaert et Boelaert intensifient les efforts avec les publications locales en lomongo: Le Coq Chante (1936-48), Etsiko (1949-1954), et Lokole Lokiso (1955-1960.62). Ce dernier lance le défi: "Nous ne sommes pas des Bangala". Enquêtes sur l'histoire, récoltes de poésies, de fables, de règles du droit traditionnel, se succèdent et sont publiés dans ces périodiques. Hulstaert commence à préparer l'édition scientifique de ces textes qui feront l'objet de recherches dans les universités occidentales .
Boelaert est toujours là. Il édite Nsong'a Lianja (1949) et l'appelle audacieusement: "Epopée nationale mongo" . Il est proche de sa question théorique : "Vers un État mongo?" . La politique commence à s'imposer. Hulstaert n'aime pas les évolués-évoluants ("Ces messieurs-là ..."), mais il en envoie quelques-uns chez les Jésuites à Kisantu pour essayer de promouvoir leur formation.
En 1954, Boelaert, rentré en Belgique, essaie d'y influencer les premiers Congolais venus à l'exposition Universelle de 1958, les stagiaires, les étudiants. Ils parlent de fédéralisme sur base ethnique. Ses visiteurs ne le contredisent pas, par déférence, mais pensent et agiront autrement comme l'a bien vu Hulstaert, qui observe l'évolution depuis la barza de la mission de Bamanya.
Entre-temps, Albert De Rop , devenu professeur à l'Université Lovanium, donne au lomongo une place d'honneur en linguistique africaine. Mais Lovanium compte peu ou pas d'étudiants mongo. Il essaie de rencontrer et d'encourager les Mongo de Léopoldville, mais leur nationalisme mongo ne fit pas long feu. Il reconnaissait que les bars de la capitale n'étaient pas des lieux les plus indiqués pour discuter culture. En 1957, le Père Frans Maes insère dans son livret Histoire des Mongo, un texte de 1938 de Paul Ngoi, contenant un cinglant réquisitoire contre les méfaits de la colonisation: "Les Blancs ne croient pas que notre culture puisse comporter une seule chose positive". Mais il conclut sur un ton plus conciliant, par un appel à la compréhension mutuelle:

"A l'issue de la lecture de mon histoire, je comprends maintenant que - et mes ancêtres et les Blancs - tous ont des qualités et des richesses. Maintenant que j'ai compris cela, puissent ces enseignements me conduire dans la vie, dans tout ce qui m'ennoblit et ne m'ennoblit pas. Désormais, moi qui suis né chez les Mongo, je mourrai fort conscient de ce qui suit: essayer de vivre en conformité avec ce que Dieu veut; je serai fier du fait que ma mère m'a mis au monde et m'a fait apprendre avec finesse la langue que mon père m'a apprise à chercher la richesse de Dieu dans les champs, la forêt et la rivière; que ma terre m'offre gracieusement ses plantes, ses animaux et ses poissons. Par conséquent, j'aime infiniment, et je suis très reconnaissant pour:
1. la langue que ma mère m'a apprise;
2. le travail auquel mon père m'a initié;
3. la terre que les ancêtres ont conquise pour moi et qui est un lieu de paix, et pour les autochtones et pour les étrangers et pour la gloire de son Yemekonji (Créateur)".

On est loin de "nos ancêtres les Gaulois". Un moment en 1959-60, le gouvernement de la colonie a même voulu programmer des cours de cultures et de langues africaines dans les écoles secondaires. Il a même été question de faire revenir Boelaert . Mais "les Supérieurs" craignaient ses idées politiques qui n'étaient du goût ni de la classe établie ni de l'archevêque en place .

4. Les réactions

A. Chez les Noirs

1. Négatives
Le nationalisme culturel et populaire des missionnaires a été parfois sévèrement jugé. Entre autre par J. F. Iyeki, Mongo et ancien des Frères des Écoles Chrétiennes qui s'exclamait: "Nous voulons le français dans nos écoles" .

"L'anglais et l'allemand sont des langues presque aussi riches et claires que le français. Au contraire, les langues indigènes sont rarement à même de fournir des termes adéquats pour exprimer ce que la langue française formule sans difficulté. Ce n'est pas sans sourire que j'apprenais voici un an qu'un cours de philosophie se donnait en langue indigène dans une certaine école. Avouons-le: le cours de sciences, de géographie, de mathématique se heurtent sans cesse à l'indigence des langues indigènes en termes suffisamment précis, surtout dans ce qui touche le domaine de l'abstrait."

L'attachement au lomongo et aux valeurs culturelles a été quelques fois âprement reproché au groupe autour de Hulstaert, comme un moyen pour exclure les Noirs du progrès et de l'accès au monde moderne et rémunérateur. Ainsi Iyeki de continuer:

"Tant aux yeux de l'administration que dans les rapports entre nous, nous avons tout avantage à acquérir une affinité intellectuelle qui nous permettra de nous assimiler le patrimoine de la civilisation mis à notre portée par les Occidentaux. (…) Il faut combler la distance qui nous sépare encore des Européens, au lieu de l'accentuer en nous refusant à l'étude du français. Il est donc de notre avis que l'étude du français doit être encouragée afin que soit supprimée la barrière qui nous sépare de la civilisation supérieure du monde occidental."

2. Positives
Il n'y a pas de doute qu'un certain nombre de Congolais "évoluants" des années 40-50 ont compris l'importance et la valeur des attitudes de Boelaert et Hulstaert. En témoignent les lettres envoyées à la rédaction d'Aequatoria, les prises de position, les discussions et les polémiques dans les périodiques locaux. Les attaques d'Iyeki ne restaient pas sans réaction. Paul Ngoi et Augustin Elenga, Ferdinand Ilumbe, Dominique Iloo et bien d'autres ne manquaient pas de mots pour défendre avec verve leur culture et leur langue .
En 1958, F. Ilumbe publie un texte dans Lokole Lokiso sous le titre "Vivons nos coutumes avant tout, puis améliorons-les ensuite". En 1962, il répond au défi lancé par Hulstaert en écrivant:

"Nous, vos enfants, nous avons suivi les choses concernant la langue de nos ancêtres depuis Efomesako jusqu'à Lokole Lokiso. Avec cette connaissance nous avons eu des difficultés pour le travail chez l'État et chez les compagnies. Ils n'ont pas voulu accepter notre langue dans l'organisation du travail".

Malgré cet handicap, les plus intelligents avaient compris où était le meilleur investissement intellectuel. Un ancien de Petit Séminaire de Bokuma des années 40 nous témoignait récemment que, pendant ses études d'agronomie à Gembloux, il avait expérimenté l'avantage d'avoir appris auparavant la matière en lomongo, grâce à quoi il n'avait pas seulement appris, mais aussi compris.

B. Chez les Blancs

1. Négatives
Parmi les opposants les plus acharnés, il faut citer, selon le témoignage de Hulstaert, les "Chers Frères" des Écoles Chrétiennes et les Scheutistes à Lisala et à Léopoldville . Mais il se trouve aussi des savants occidentaux, appartenant à des cultures dominantes et dévastatrices des minorités culturelles, qui considéraient les efforts pour respecter ces valeurs humaines les plus profondes, comme un "parochial nationalism", finalement nuisible. "It seams clear that the ethnocultural polices and attitudes of the missionaries contributed to the political fragmentation along ethnic lines which took place in the Congo just prior to and after Independence."
A l'opposé, Fabian reproche justement à l'Église d'avoir aidé l'État dans l'exploitation et la domination des masses populaires en imposant une langue étrangère, notamment une lingua franca.

2. Positives
Le combat de Aequatoria eut, en son temps, bien des sympathisants. D'abord des amis missionnaires animés du même souci de respecter la culture et l'histoire du peuple: Van Caeneghem chez les Baluba, Van Wing et Bittremieux chez les Bakongo, Tanghe chez les Ngbandi/Ngbaka, sans oublier Tempels . De volumineuses correspondances en témoignent. On continue de se référer à l'œuvre linguistique de Hulstaert et de ses confrères: "D'accord avec la proposition de la Commission linguistique africaine, nous souhaitons voir dans toute l'étendue de la Cuvette Centrale qu'on prenne comme base (... ) la grammaire, le dictionnaire et les textes des R.P. Hulstaert, Boelaert et De Rop" (Lokole Lokiso, 10 novembre 1962, p. 6).
L'article se réfère à une contribution antérieure parue dans Lokole Lokiso du 1er décembre 1956, p. 1. 5. 6, laquelle fait état d'une correspondance entre la Commission Linguistique Africaine (Tervuren) et la Rédaction. En 1955, la Commission lançait un programme d'enquêtes et d'études pour l'unification des grandes langues culturelles de la colonie. Ainsi par l'intermédiaire de Hulstaert, la rédaction de Lokole Lokiso était consultée (cf. Archives Aequatoria, boîte 84; fiches 82. 220-318).
A Coquilhatville, dès avant l'Indépendance, les responsables de la Radio provinciale avaient commencé à insérer des émissions en lomongo.

5. L'indépendance

En 1959, sous l'impulsion de Bolamba, L'union Culturelle Mongo, un groupe pré-politique à Kinshasa, dévoile son plan d'action avec référence explicite au Père Hulstaert: "On citera volontiers certains auteurs tels que les RP Hulstaert et Boelaert qui se sont taillés un renom en ce sens" . Un parti politique Union des Mongo (UNIMO) est fondé en 1960 par les politiciens de la première génération: Bomboko, Engulu, Ndjoku, e.a. Ce parti inscrit la dimension ethnique dans son programme avec souvent une référence aux publications de Hulstaert. L'idée d'un État mongo prendra une forme réaliste avec l'érection de l'État de la Cuvette Centrale. Engulu, son président, déclare le 29-9-1962: "Il appartient donc à l'Union Mongo et particulièrement à ses dirigeants d'élever les Mongo au rang d'un peuple organisé, respecté, fier et prospère" .
Hulstaert continue à recevoir à Bamanya les protagonistes de ces tendances politiques. De Rop essaie de les influencer à partir de Kinshasa et Boelaert les rencontre en Belgique. Quelques disciples de Hulstaert, autour de Paul Ngoi et Augustin Elenga, s'efforcent d'exercer une influence culturelle au sein des structures politiques locales en animant le Département Provincial de la Culture. Ils fondent en 1962 un Institut Culturel Mongo avec l'idée de le faire évoluer vers une Académie Mongo. Le Père Hulstaert est sollicité pour en être le conseiller. Ils témoignent: "C'est une fierté et une chance pour nous d'appartenir à l'ethnie mongo dont la langue a été étudiée dans ses détails par le R.P. Hulstaert" .

En 1965, la Deuxième République, malgré les apparences, ne fera pas grand cas des cultures et des langues du peuple. Cependant que, dans les écoles de la mission, l'enseignement continuait à être dispensé partiellement en lomongo et que l'on continuait à prier dans cette langue, la nationalisation des écoles en 1974 lui donne le coup de grâce : elle impose le programme de l'État, l'éducation civique, le lingala et le français.
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* En 1992, Mr Thomas VAN LANGENDONCK a présenté un mémoire de licence à l'université de Gent (B) sous le titre: De invloed van de Missionarissen van het H. Hart op het ethnisch bewustzijn van de Mongo (1925-1965), 207 p., Inédit. J'ai à la fois été impliqué dans l'élaboration de ce texte et je m'en suis inspiré pour cet article. Dans la présente contribution, je mets l'accent sur l'appartenance ecclésiastique des protagonistes.
Ann. Aeq. = Annales Aequatoria

 

 

 

 

 



21/01/2011
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