L'ASSEMBLÉE NATIONALE RISQUE...
L' Assemblée nationale congolaise risque d'être dissoute (J.-P. Mbelu)
Les députés de l'AMP ont reçu, hier lundi 09 mars 2009, un SMS sur leurs téléphones portables.
Par « solidarité parlementaire », ils l'ont envoyé aux députés d'autres groupes. De nos sources au Parlement Congolais, nous vous livrons ce message dans son entièreté (à l'exception d'un bout de phrase immoral): « Honorables députés, voici les raisons qui militent au départ de Kamerhe: trop d'avantage à l'opposition, enrichissement sans cause, trop d'indépendance même vis-à-vis du chef de l'Etat, trop de motions contre nos membres du gouvernement, mépris caractérisé au chef de l'Etat (...).Collabo de Nkunda. Vous les députés, lâchez Kamerhe, sinon l'Assemblée nationale sera dissoute. Le choix de Nyabirungu pour remplacer Kamerhe n'est pas un hasard. C'est compte tenu de l'implication des Hutus dans le démantèlement de Nkunda. En plus, il est aussi du Kivu comme Kamerhe. La prime de 4.000$us qu'on donne n'est pas une corruption, mais une prise de conscience. Les bénéficiaires devront se faire signaler auprès des Rapporteurs des groupes parlementaires AMP. »
Que penser de ce SMS?
Il peut être un faux. Celui qui l'a envoyé aurait fait inutilement peur aux députés de l'AMP et à leurs amis. Se réveiller un matin sans « job » serait pour eux un mauvais cauchemar. Il peut être, ni plus ni moins, un chantage orchestré contre les députés pétitionnaires et ceux qui soutiennent Vital Kamerhe. Il confirmerait les allégations de plusieurs compatriotes pour qui les ex-seigneurs de la guerre n'ont pas pu être transformés en démocrates par la magie des urnes. Il se pourrait que ce SMS soit un vrai; il proviendrait des sources informées sur ce qui se trame dans les coulisses de l'AMP. Certains indices poussent à le penser. Il revient sur certains reproches déjà formulés à l'endroit de Vital Kamerhe depuis qu'il a commis le péché d'avouer qu'il n'était pas averti sur l'entrée de l'armé rwandaise au Congo. L'enrichissement facile est la chose la mieux partagée par le pouvoir en place à Kinshasa depuis la chute de Mobutu. La corruption des députés aux fins de lâcher Kamerhe n'est un secret pour personne depuis que l'information sur le déblocage de 200.000$ us a filtré du sein même du Parlement. En marge de la personnalisation des questions politiques et de leur privatisation, dissoudre l'Assemblée nationale ne résoudrait aucun problème. Comme remplacer Kamerhe par un autre député de l'Est ne fermera pas la bouche aux « grandes gueules de l'opposition ». Qui voit Kiakwama ou Mwamba se taire parce que Nyabirungu a remplacé Kamerhe? Donc, l' AMP est à côté de la plaque. C'est comme si, en dehors des biceps et de la corruption, elle ne peut rien faire.
Aussi, dans les raisons avancées manque-t-il de référence aux textes régissant le pays et l'Assemblée nationale.
Si Kamerhe a coopéré avec Nkunda, qu'il soit traduit en justice après les démarches préliminaires de la perte de son immunité. Même si coopérer avec Kagame et Ntaganda dans une coalition dont les effets néfastes sur nos populations sont en train d'être comptabilisés à l'Est de notre pays est aussi criminel que coopérer avec Nkunda!
Ce que révèle ce SMS
L'opposition institutionnelle, malgré ses limites, donne du fil à retordre à l' AMP et à ses hauts cadres. Elle est capable de « débaucher » dans l' AMP. Les pétitionnaires ont été au nombre de 262, les membres de l' AMP compris. La majorité arithmétique électoraliste est faible politiquement. Elle est une minorité politique. Elle ne peut subsister qu'en recourant aux coups bas et à la violence. C'est-à-dire en pratiquant « le gangstérisme politique » comme dirait Philippe Biyoya. Elle fait l'expérience qu'il y a des Congolais que l'argent ne peut pas acheter facilement.
Les accointances de Vital Kamerhe avec l'opposition institutionnelle se justifieraient dans la mesure où elle donne l'impression d'avoir un discours politique que l' AMP n'aurait pas. Jouant son rôle de critique de l'action gouvernementale, elle a réussi, à plusieurs reprises, à entraîner certains membres de la mouvance présidentielle sur le terrain de la remise en question profonde des gouvernants depuis que le PALU gère le gouvernement.
Navigant à vue, cette AMP, ou certains de ses caciques ne soupçonnent pas sa lente mais sûre mort politique. Elle est de plus en plus une coquille vide vivant de la personnalisation du pouvoir et de l'argent facile. Quand on sait cela, accuser Kamerhe d'enrichissement facile fait sourire: tous se sont enrichi facilement. Relisons les différents rapports de la Cour des comptes et de différentes Commissions mises sur pied pour contrôler l'action des gouvernants, nous seront plus qu'édifiés. La corruption dans leurs rangs a atteint des proportions inégalables dans l'histoire de notre pays.
Du côté de l'opposition institutionnelle, il y a des leçons à tirer de ce feuilleton: la force politique n'est pas dans les armes. La grande arme du politicien est une parole forte fondée sur les arguments que les faits ne démentent pas. Le nombre n'est pas toujours du côté de la raison. La victoire du nombre n'est pas toujours acquise. La démocratie est un travail abattu à partir des expériences concrètes et non seulement un idéal. La réalisation du régime démocratique n'est pas acquise au dépôt du bulletin de vote dans l'urne. Le droit de suffrage est à la fois un acte ponctuel et une tâche à réaliser. Il est un droit constructif et non attributif. Voter, c'est aussi s'engager à réaliser un monde des égaux.
C'est s'engager dans une lutte quotidienne pour que le savoir et le pouvoir, l'appartenance à tel réseau ou telle famille politique, la richesse et les différentes distinctions ne l'emportent pas sur l'égalité politique: tous égaux devant la loi et tous prenant une part égale dans les discussions rationnelles et raisonnables, nécessaires à l'édification du monde commun. C'est toutes ces choses que « les rhinocéros » de l' AMP, comme dirait Guy De Boeck, refusent.
Il n'y aura pas un deuxième Mobutu au Congo
Certains caciques de l'AMP- car il y a, malgré tout, des hommes et de femmes de grande valeur dans cette Alliance- se trompent d'époque. Ensorcelés par l'argent facile, les plaisirs ou la magie, ils donnent l'impression de ne pas comprendre que le monde bouge et change.
En 2002, Emmanuel TODD publiait un livre intitulé Après l'empire. Essai sur la décomposition du système américain , et il notait ceci: « Le gouvernement de Washington applique un modèle stratégique classique mais inadapté à une nation d'échelle continentale, la « stratégie du fou », qui recommande d'apparaître à d'éventuels adversaires comme irresponsable pour mieux les intimider. » (p.10)
Après les Bush, Barack Obama a compris cela et essaie, malgré l'Irak et l'Afghanistan, de fonder la politique américaine sur les valeurs prônées par les Pères fondateurs de l'Amérique. Le jeune président croit beaucoup plus au cosmopolitisme que ses devanciers. Sa tendance est de résoudre les problèmes des U.S.A. par le dialogue, la main tendue et le multilatéralisme. Il a renoncé au complexe du gladiateur solitaire. Il semble avoir compris que « les régals de la puissance sont bien maigres: en cherchant à contrôler le multilatéralisme, à en assurer le leadership matériel ou moral, le gladiateur concentre sur lui l'essentiel des risques et des coûts. Sa position n'est tenable que s'il accepte d'en payer le prix, fortement réévalué à mesure qu'il acquiert une apparence de puissance ou qu'il cristallise sur lui le soupçon de domination. » (B. BADIE, L'impuissance de la puissance. Essai sur les nouvelles relations internationales, Paris, Fayard, 2004, p. 20 3)
Les gladiateurs de l' AMP, contrairement aux apparences, cristallisent sur eux, non seulement le soupçon de domination mais aussi l'effectivité de cette domination de tout un peuple pour « une paire de scandales ». Mais se trompant d'époque, ils estiment qu'ils peuvent appliquer « la stratégie du fou », écraser tout sur leur passage comme au temps de la guerre froide où Mobutu jouissait du soutien de « ses amis » Américains, Belges et Français.
Non. Les temps ont changé. Une société civile congolaise diffractée est présente et active sur l'espace public mondial. Elle sait se faire inviter chez les partenaires bilatéraux et multilatéraux de la RD Congo et se faire entendre. Lentement mais sûrement,les forces congolaises du changement s'organisent au quotidien et n'accepteront plus, à n'importe quel prix, que leur pays vive sous la botte d'un deuxième Mobutu, avec sa cour de clients. (Même si Mobutu n'a pas été aussi sanguinaire que ces ex-seigneurs de la guerre qui nous gouvernent!)
Joseph Kabila, en tournée à l'Est de notre pays, parlant du remue-ménage à l'Assemblée nationale, a dit que les hommes passent et que les institutions restent. Il a dit vrai. Pourvu que lui et ses « rhinocéros » ne se sentent pas exclus de ces hommes qui passent. Même si, vouloir que les hommes passent en les écrasant n'est ni moral, ni tout simplement humain.
Bref, la conversion des U.S.A. au multilatéralisme et son retour aux valeurs des Pères pourrait avoir un impact sérieux sur l'orientation future du monde. L'après empire témoigne que la puissance est de plus en plus impuissante. Il y a là un message que les gladiateurs de l' AMP ne saisissent pas. Ils se laissent abuser par leurs hauts cadres et vice-versa. A leurs dépens.
Après ça, qu'ils ne nous parlent plus de « notre jeune démocratie »!
Les pays à régime démocratique représentative essaient, tant que faire se peut, d'assurer le contrôle du pouvoir exécutif pour qu'il n'abuse pas des prérogatives qui lui sont dévolues. Que l'on puisse croire qu'il y a trop de motions contre le gouvernement dans un pays comme la RD Congo où « les privilèges fabuleux » de certains sautent aux yeux, il y a anguille sous roche.
Prenons quelques trois exemples d'actualité. La France bouge. Les collectifs du refus se forment contre Nicolas Sarkozy et s'opposent contre « les faits du prince ». En Belgique, une Commission parlementaire chargée des questions liées à la séparation de pouvoir auditionnent Yves Leterme (ex-premier Ministre) et Didier Reynders, Ministre des Finances sur leur éventuelle influence de la justice dans la gestion du dossier de la Banque Fortis. Jean-Marc Nollet, député Ecolo et membre de la Commission, est interviewé par plusieurs chaînes de télévision et leur explique l'avancement des auditions. Aux U.S.A., une Commission sénatoriale sera mise sur pied pour examiner la légalité de certains actes posés sous G.W. Bush.
Chez nous, accorder la parole à l'opposition institutionnelle est un crime. Mais récupérer des criminels de guerre dans l'armée au grand dam de nos populations est bon pour la paix! Voilà le monde à l'envers! Les ex-seigneurs de la guerre ne peuvent composer qu'avec d' autres guerriers. Ils sont hostiles au débat nécessaire à l'édification du monde commun et du vivre-ensemble. Mais, après ça, qu'ils ne nous parlent plus de « notre jeune démocratie ». Ils n'en veulent pas. Ils en ont une peur bleue.
Néanmoins, à travers leur agitation, une conviction peut être partagée: les armes ne suffiront jamais pour dominer les Congolais et les Congolaises sur le sol de leurs ancêtres. Leur recours à la parole (et au Lusanzu) agissante sera une force capable de déplacer les montagnes. Déjà les murs de l' AMP se lézardent. Ne les voyez-vous pas?
JP Mbelu