Le Blog de Sacrebopol

LE DÉPUTÉ PROVINCIAL DÉCLARE

Questions directes à Martin Fayulu

 

Martin Fayulu Madidi.

Agé de 53 ans, Martin Fayulu Madidi est député provincial de la Ville-province de Kinshasa. Economiste de formation spécialisé dans le management, «Martin» vient du secteur privé. Il a servi durant vingt ans dans le groupe Mobil Corporation et ExxonMobil. Outre le Congo, il a travaillé aux Etats-Unis, en France, en Côte d’Ivoire, au Kenya, au Nigeria, au Mali. Directeur général d’ExxonMobil Ethiopie a été sa dernière fonction. Avant d’être élu député national et provincial en 2006, Fayulu a fait un parcours politique : membre de la Conférence nationale souveraine, membre du Haut conseil de la République-Parlement de transition. Il est le président du parti «ECIDé» (Engagement pour la Citoyenneté et le Développement). De passage à Bruxelles, Martin Fayulu a bien voulu nous accorder un entretien.

Vous êtes de passage à Bruxelles. Ici, la voie publique est bien entretenue. Il suffit de tourner le robinet dans votre chambre d’hôtel pour que l’eau coule. Deux ou trois fois par semaine, les éboueurs ramassent les ordures ménagères et les services communaux assurent la propreté et la sécurité des quartiers. Face à cette description, quel sentiment éprouve le député provincial de Kinshasa que vous êtes ?

J’éprouve trois sentiments : la honte, la défaite et le manque de sens de responsabilité. Manque de sens de responsabilité dans le chef des gouvernants aussi bien à Kinshasa qu’au niveau national.

Vous faites partie de décideurs…

Naturellement. Tous les Congolais sont responsables de nos lacunes. Mais chacun doit assumer sa part de responsabilité. Nous avons été élus députés provinciaux en 2006. C’est au début de l’année 2007 que notre assemblée a commencé ses travaux par l’élection du gouverneur. Nous pouvons dire que depuis ce vote, plus rien n’a été fait. L’échec est total. Cet échec je l’attribue à 90% au gouvernement provincial de Kinshasa. Je m’explique. Le gouvernement provincial est arrivé avec un programme d’action élaboré par les Kinois eux-mêmes dans le cadre des «états-généraux» présidés par le père Martin Ekwa.

Pourquoi ce programme n’a-t-il pas été appliqué ?

Il y a deux raisons. D’une part l’incompétence et de l’autre la cupidité des responsables provinciaux. Certains ont cru que l’exercice d’une parcelle de pouvoir constitue l’occasion de s’enrichir et non de servir les habitants de la capitale selon le programme établi. Conséquence : les finances de la ville-province ne sont pas bien gérées. Je tiens à vous dire que l’assemblée provinciale, elle, s’est acquittée de sa mission.

Selon vous, la réfection des grandes artères de la capitale constituait-elle une priorité ?

Les infrastructures constituent sans conteste une priorité. Si, en revanche, vous me posez la question de savoir si la réfection ou la modernisation des boulevards du 30 juin et Lumumba et celle des avenues des Huileries et de Libération était une priorité, ma réponse est : Non ! Les priorités sont ailleurs. Jusqu’à ce jour, mes collègues et moi ne savons rien de ce qui se fait sur ces artères de la capitale. Même si certains travaux sont effectués sous l’impulsion du gouvernement central, j’ai du mal à comprendre que la question n’ait jamais fait l’objet d’un débat au sein de l’assemblée provinciale. J’ai dit que les priorités ont ailleurs. Il y a des avenues dont la réfection paraît plus qu’utile pour décongestionner la capitale. C’est le cas notamment de l’avenue Kulumba qui va de Kingabwa-Poids lourds jusqu’au Quartier III à Masina. La réfection de cette route aurait permis à la capitale de s’enrichir de deux accès dans sa partie orientale. On peut citer également l’avenue Kasa Vubu à partir de Ngiri Ngiri et Kimbangu, c’est l’avenue Elengesa qui aboutit sur By-Pass. Il en est de même de l’avenue Kikwit qui part de l’Echangeur de Limete pour sortir entre Ngaba et Camp Mombele, via les avenues Elengesa et Libération. J’ai soulevé le débat à l’assemblée provinciale en demandant au gouverneur d’expliquer le sort réservé au Plan général d’aménagement de la ville Kinshasa et la nature des travaux effectués sur le boulevard du 30 juin. Je considère, pour ma part, que ces travaux effectués ne constituent que du «tape à l’œil». Ce sont des travaux inutiles. Allonger la largeur du boulevard est une chose, l’entretenir en est une autre. La preuve est là, plusieurs édifices publics sont entrain de dépérir faute de maintenance : la Cité de la Radio, les immeubles CCIZ, Sozacom, Botour et les deux Galeries présidentielles. Le gouvernement central et le gouvernement provincial viennent de fournir la preuve qu’ils ignorent les vrais problèmes qui se posent à Kinshasa.

Quelle était la durée initiale des travaux sur le boulevard du 30 juin ?

Au départ, il était question de 90 jours. Cela fait plus treize mois depuis que les travaux ont débuté. En vérité, il n’existe aucun plan. Il y a un vrai problème de planification. J’espère que le boulevard du 30 juin sera réfectionné avant les festivités commémoratives du 50ème anniversaire de la proclamation de l’indépendance.

Sur le boulevard Lumumba, des stations service ont été sommées de «déménager» mettant au chômage plusieurs travailleurs. Qu’en dites-vous ?

Il n’y a pas que les cas des travailleurs privés de leur emploi. Il y a eu des accidents mortels sur le boulevard du 30 juin. On dénombre pas moins de 200 personnes tuées suite à des accidents de circulation. Chaque jour, il y a des accidents. Et personne ne s’en préoccupe.

Que font les parlementaires provinciaux censés représentés et défendre les intérêts des Kinois ?

Les parlementaires font leur travail en interpellant ceux qui gouvernent. Je vous signale qu’interrogé à ce sujet par une chaîne de télévision, un membre du gouvernement a déclaré (je le cite) : «On ne fait pas des omelettes sans casser des œufs». Je ne peux m’empêcher de répéter qu’il y a un réel problème de planification. Les projets sont improvisés. A titre d’exemple, au niveau de la ville de Kinshasa, je n’ai pas eu connaissance d’un budget prévu pour financer la réfection de l’avenue des Huileries. Le gouvernement provincial procède actuellement au rétablissement de l’éclairage public dans la capitale. Ce projet a-t-il été budgétisé ? Vous pouvez convenir que cette situation ne constitue nullement la meilleure façon de gérer une Cité.

A vous entendre parler, on est tenté de conclure que les élections générales de 2006 n’ont pas servi à grand chose dans la mesure où l’assemblée provinciale de Kinshasa n’a aucun pouvoir face à l’exécutif provincial …

La situation qui prévaut dans la capitale n’est pas unique en son genre. Les mêmes réalités sont observables ailleurs dans le pays. C’est ici que je voudrais attirer l’attention de mes concitoyens sur le fait que les gouverneurs des provinces ont presque pris les assemblées provinciales «en otage».

Pouvez-vous être plus explicite ?

Je veux dire que les assemblées provinciales travaillent de connivence avec les gouverneurs. Il est de ce fait difficile de faire aboutir une motion ou de poser une simple question au gouverneur. Inutile de parler de motion pour faire démettre celui-ci. A titre d’exemple, les habitants de Kinshasa ont payé récemment la taxe routière dans le cadre de la «campagne vignette 2007-2008». Pas moins de quatre millions de dollars américains ont été récoltés. Où est passé cet argent ? En violation de la loi en vigueur, le ministre provincial des Finances a ouvert des «comptes spéciaux» pour loger ces recettes. Quelques mois plus tard, le même ministre a tiré des chèques à partir de ces comptes.

Qui sont les bénéficiaires de ces chèques ?

C’est une des questions posées à ce ministre. Les parlementaires attendent toujours les réponses…

N’avez-vous pas le sentiment que depuis l’installation des assemblées provinciales, il y a plus de trois ans, les questions portant sur les finances occupent l’essentiel des activités des parlementaires ?

De quoi voulez-vous qu’on parle ? L’argent reste une question cruciale. La corruption sévit tant au niveau provincial que national.

Quand est-ce que les parlementaires vont s’occuper enfin de l’amélioration de la qualité de vie de la population ?

Il faut bien reconnaître que l’argent constitue la «grande faiblesse» du citoyen congolais. Tout le monde veut devenir «riche». Tout le monde veut posséder des biens même s’il n’a pas travaillé. Sans labeur, sans la moindre justification, les gens veulent amasser de l’argent. Dans ce pays, la corruption s’est érigée en système de gestion. Et tous ceux qui ne se conforment pas aux «normes locales» sont considérés comme des «marginaux». C’est pour toutes ces raisons que les Congolais doivent se réveiller. Il est temps que ceux qui veulent le Changement cessent de se complaire dans une posture d’observateurs passifs. Ils doivent s’engager dans les formations politiques les plus sérieuses.

N’avez-vous pas l’impression, vingt années après le lancement du processus démocratique, que les Congolais sont «fatigués» de la politique et des politiciens ?

Les Congolais ne doivent pas démissionner. La construction d’un Etat ne se fait pas en deux ou trois jours. C’est une œuvre de longue haleine. Il y a toujours une courbe d’apprentissage. Il est vrai que l’apprentissage ne doit pas durer éternellement. Il est connu de tous que notre pays souffre d’un déficit de leadership. Notre élite a démissionné. La population s’est désengagée. Un groupe d’individus engagé et décidé, suffit pour changer les choses. Un exemple : il y a peu de temps, les Kinois ne portaient pas de ceinture de sécurité. Allez y voir maintenant. Tous les conducteurs et les passagers attachent leurs ceintures de sécurité. De même, les voyageurs font la queue pour embarquer dans les bus et taxi bus. Ce qui n’était pas le cas auparavant.

Si je vous comprends, c’est l’impunité qui est à la base du laisser-aller ?

L’absence de leadership entraîne l’absence de la sanction et la démission de l’autorité. Un autre exemple. Le code de conduite de l’agent public oblige celui-ci (député, sénateur, ministre, président de la République etc.) à faire une déclaration de son patrimoine. Combien de mandataires politiques ont pu observer cette règle ?

La question serait plutôt de connaître la sanction infligée aux récalcitrants ?

La loi indique clairement l’autorité habilitée à sanctionner. Mais la réalité est là : personne ne sanctionne personne. Un cas concret : un ministre provincial est suspecté de mauvaise gestion. Qui doit infliger la sanction ? C’est l’assemblée provinciale. Le député provincial que je suis prend langue avec d’autres collègues afin de réunir un quorum de cinq signatures. Une motion de défiance est aussitôt rédigée et acceptée au niveau de l’assemblée. Après l’expédition de ladite motion au ministre concerné l’invitant à fournir ses explications, j’apprends à ma grande surprise que trois des cinq députés se sont rétractés. Ils ont retiré leurs signatures. Un tel retrait n’est prévu par aucun texte légal. En revanche, la motion peut être retirée en bloc à l’initiative des cinq signataires. La motion a fini par être retirée.

On parle de plus en plus de la révision de la Constitution de la RD Congo. Qu’en pensez-vous ?

La Constitution a prévu des mécanismes de sa révision. La raison est simple : c’est une œuvre humaine qui est par définition perfectible. La Constitution de la RD Congo dit clairement dans son exposé de motifs mais aussi à son article 220 qu’il y a des dispositions à ne pas modifier. C’est le cas notamment des dispositions relatives au nombre et à la durée de mandats du Président de la République. Il me semble que cinq ou dix ans, c’est amplement suffisant. Tout homme atteint son niveau d’incompétence à un moment donné. C’est fini le temps où l’on faisait 32 ans au pouvoir. En cinq ans, il faut montrer à la population de quoi vous êtes capable. Ce n’est qu’après que cette même population pourra vous renouveler sa confiance. Nous devons cesser de croire qu’il y a des hommes providentiels.

Près de quatre années après l’élection présidentielle de 2006, quel est votre analyse du bilan du «président élu» Joseph Kabila ?

Le bilan est globalement négatif. Le président Kabila est venu avec un programme qu’il a baptisé «Les Cinq chantiers du chef de l’Etat». Désormais, on parle des «Cinq chantiers de la République». A savoir : l’éducation, la santé, l’eau et l’électricité, l’infrastructure et la bonne gouvernance. Primo : l’éducation. L’enseignement a atteint son niveau le plus bas. La formation des étudiants est plus que lacunaire. Secundo : l’eau et l’électricité. Le Congo qui avait un taux de couverture, en eau et électricité, le plus élevé de la moyenne des pays d’Afrique subsaharienne, atteint à peine 20% de couverture. Aujourd’hui même la commune de la Gombe n’a pas d’électricité.

Les «kabilistes» pourraient objecter que le phénomène a commencé sous le régime de Mobutu…

Soyons sérieux ! Monsieur {Gilbert} Tshiongo qui vient d’être nommé ministre de l’Energie, n’était-il pas le PDG très respecté de notre Régie de distribution d’eau sous le régime Mobutu ? Je ne suis pas entrain de faire l’apologie de l’ancien régime. Je voudrais simplement vous dire que lorsque j’ai terminé mes études en France, la Regideso, dirigée alors par M. Tshiongo, était portée en haute estime par les dirigeants de la Lyonnaise des eaux. Il en est de même de la Société nationale d’électricité (SNEL). Tertio : la santé. Où en sommes-nous aujourd’hui ? S’agissant enfin de la bonne gouvernance, tout le monde parle de «Tolérance zéro». Que dire des hommes et femmes, devenus ministre ou Premier ministre, et qui se retrouvent dès le lendemain à la tête d’une immense fortune ? Combien gagnent-ils ? Comment ont-ils pu en un temps record posséder autant de biens ? Lorsque les professeurs d’universités exigent un salaire de 2.000 dollars, le gouvernement leur répond qu’il n’y a pas d’argent. Que dire de toutes ces missions inutiles à l’étranger? Comme je l’ai dit précédemment, le bilan est négatif. Les Congolais doivent se ressaisir pour réfléchir sur l’avenir. Il faut une planification. Nous avons pourtant un ministre du Plan. Que fait-il ?

A propos justement de l’actuel ministre du Plan, il a déclaré dans une interview accordée à «Jeune Afrique» que «le chef de l’Etat doit avoir plus de pouvoir» tout en souhaitant l’avènement d’un «régime présidentiel». Quelle est votre réaction ?

Je suis surpris d’entendre le président d’un parti politique - qui est par ailleurs membre de la coalition gouvernementale - faire une telle déclaration. Cherchait-il à encenser ou flatter «quelqu’un»? Le Parlement n’est-elle pas la seule institution qui doit avoir «plus de pouvoir» pour contrôler l’exécutif ?

Vous avez parlé de «bilan globalement négatif». Apparemment, ce n’est pas l’avis du ministre du Plan qui escompte voir l’actuel chef de l’Etat «remporter» l’élection présidentielle de 2011 «dès le premier tour, (…)»

Tout le monde a le droit de rêver. L’acteur politique ne peut travailler que dans ce sens là. Lorsque j’évoque un bilan globalement négatif, je suis entrain de vous parler des réalités actuelles. Demain, nous irons tous en campagne pour solliciter le suffrage du corps électoral. Nous aurons l’occasion d’expliquer ce qui va et ce qui ne va pas. Nous expliquerons également notre vision de la société congolaise de demain. Ce pays n’appartient pas à quelques individus. Il appartient aux 68 millions des Congolais. Des Congolais qui ont les mêmes droits et devoirs.

Le président Joseph Kabila demande le départ de la Monuc. Quel est votre avis ?

La Monuc partira un jour. Je ne pense pas que ce départ doit avoir lieu maintenant. Notre pays a encore besoin de la logistique de la Monuc comme ce fut le cas lors des élections de 2006. La Monuc doit par ailleurs garantir les conditions minimales de sécurité à tous les candidats devant battre campagne aux quatre coins de la République. A mon avis, les forces onusiennes doivent rester au Congo durant une période d’au moins une année après l’installation des institutions issues des urnes. Pourquoi n’a-t-on pas exigé le départ de la Monuc hier ? Et pourtant les problèmes du pays sont loin d’être résolus. Aujourd’hui, le Congo continue à être secoué par la violence faite aux femmes ; les partis politiques ne parviennent pas à jouir d’espace de liberté pour s’exprimer librement. Près de quatre années après les élections générales de 2006, on assiste à des restrictions des libertés. Comment peut-on, dès lors, demander le départ de la Monuc ?

Il semble que le gouvernement congolais tient à financer par ses fonds propres les élections législatives et présidentielles. Les élections locales pourraient être prises en charge par la «communauté internationale». Qu’en dites-vous ?

Voilà une démonstration de notre irresponsabilité. Comment va-t-on organiser ces consultations politiques sans refaire le fichier électoral et sans les cartes d’identité ? Les élections doivent commencer par les locales. Celles-ci seront suivies par les législatives provinciales et nationales. L’élection présidentielle, à deux tours, viendrait boucler la boucle.

Le 24 avril prochain, le processus démocratique au Congo aura vingt ans. Selon vous, qu’est ce qui a changé au cours de ces deux décennies ?

Le fait de se présenter aux élections constitue en soi un changement. D’autre part, il y a des institutions qui sont en place au niveau national et provincial. Il faut maintenant espérer que ces institutions auront à coeur d’assumer leurs missions avec responsabilité. Les Congolais devraient célébrer ces vingt années. Je vous signale que le 16 février dernier, nous avons voulu célébrer dans la méditation le sacrifice consenti par nos frères et sœurs qui ont payé de leur vie le 16 février 1992 au nom de la démocratie. Une marche organisée le 16 février à Kinshasa a été réprimée. Les autorités ont sans doute cru que c’était une manifestation organisée par l’opposition. Et pourtant les autorités urbaines ont été informées par écrit.

Quel est, selon vous, le profil que devrait avoir le futur chef de l’Etat congolais ?

Le futur président de la République doit être un homme qui incarne des valeurs. L’amour de la patrie, c’est la première valeur. Il doit aimer le pays et ses citoyens. L’éducation constitue la seconde valeur. Le futur président doit être un homme éduqué, doté d’une expérience politique et d’un sens de leadership. Un homme capable d’avoir une vision pour montrer le chemin. Enfin, le futur président doit craindre Dieu.

Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi
© Congoindépendant 2003-2010



26/03/2010
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